• L’opposition muselée n’a plus que des chansons pour s’exprimer

    Ses fameuses diatribes télévisées ont laissé place à des chansons larmoyantes, mais dans l’étouffant climat post-coup d’état de la Thaïlande, le sulfureux chef des "Chemises Rouges", saisit la moindre opportunité pour pouvoir toucher ses partisans. Jatuporn Prompan, chef du mouvement populaire des Chemises Rouges, qui soutenait le gouvernement déchu de Yingluck Shinawatra, est de retour sur le petit écran, après la levée de l’interdiction de certaines chaines d’information politique très orientées.
    Depuis des années, ses discours d’incitation à la révolte étaient très populaires dans les terres rouges du nord de la Thaïlande, où Yingluck ( et son frère le milliardaire Thaksin Shinawatra ) sont adorés pour leur politique envers les pauvres.
    Renommée "Peace TV", Jatuporn y prône maintenant les vertus de l’amour et du bouddhisme à travers des couplets mélancoliques, loin des harangues contre l’"ammart"  (l’aristocratie de Bangkok  et ses partisans qui haïssent le clan Shinawatra).
    "La route n’est pas jonchée de roses", fredonne Jatuporn, 49 ans, dans une chanson préenregistrée, diffusée entre les programmes. "Mais nous devons continuer de rêver, aussi difficile que cela puisse être."
    Nichée dans un centre commercial au nord de Bangkok, la chaine est l’un des rares médias disponibles pour les opposants au coup d’état.
    La junte a fait taire les voix anti-coup d’Etat, y compris les parlementaires de l’ancien parti au pouvoir, le Puea Thai, et les groupes d’universitaires et d’étudiants, après que l’armée a convoqué les dissidents, interdit les rassemblements politiques et censuré les médias.
    Pour ceux habitués aux réalités politiques dans un royaume sous régime militaire, le retour de Jatuporn à la télévision est symbolique , et suggère que les forces anti-coup sont en sommeil mais pas mortes.
    Mais même Jatuporn admet que par les temps qui courent, il n’a la possibilité de rencontrer ses camarades des Chemises Rouges "qu’aux mariages et aux enterrements."

    "Avancer avec prudence"

    Depuis sa prise de pouvoir en mai, le leader du coup d’Etat, Prayuth Chan-O-Cha, a juré de résorber la division caustique de la société thaïlandaise et a mis au silence toutes les discussions politiques.
    Prayuth a pris sa retraite de l’armée le mois dernier, mais reste le chef de la junte et est aussi Premier ministre, à la tête d’un gouvernement imposé et dominé par des militaires triés sur le volet.
    Les Chemises Rouges, connues sous le nom de Front Uni contre le Dictature et pour la Démocratie (UDD), ont vu leurs leaders renoncer à leur combat, et s’exiler, ou comme Jatuporn , accepter d’abandonner la politique.
    Même les enterrements de Chemises Rouges, dont un a eu lieu la semaine dernière pour l’une des grandes figures du mouvement, Apiwan Wiriyachai, sont surveillés de près, au cas où ils se transformeraient en réunions politiques ; qui sont interdites par la loi martiale.
    Les dirigeants des Chemises Rouges craignent une répétition du scénario de 2010, lorsque la répression violente de l’armée sur leur mouvement au cœur de Bangkok avait fait plus de 90 morts et environ 2.000 blessés.
    "Nous avançons avec prudence", a déclaré Jatuporn, qui a l’autorisation d’émettre sur la chaîne télévisée, malgré les accusations de terrorisme contre lui liées aux manifestations.
    Même l’ancienne Première ministre Yingluck est restée à l’abri des regards. Elle s’est parfois vue interdire d’apparaitre à des événements auxquels elle avait été invitée tels que le festival de Nong Khai début octobre, comme le rapportait le 9 octobre le journal Khaosod. Elle a néanmoins refait surface récemment pour signer un livre de vœux de rétablissement pour le roi hospitalisé.
    Le journal The Nation rapportait le 12 octobre que l’ancien vice-Premier ministre de Yingluck Shinawatra, Chalerm Yoobamrung, fervent lieutenant de Thaksin, avait démenti des rumeurs répandues sur les réseaux sociaux selon lesquelles il était décédé. Selon le journal en langue anglaise, Chalerm aurait expliqué que ces rumeurs étaient certainement destinées à le faire sortir de son silence pour le pousser à faire des commentaires politiques. Il aurait ajouté avoir refusé plusieurs invitations à des événements publics car il tenait à garder un profil bas.

    Pourtant le mécontentement face au coup d’état persiste.

    Alors que le moindre mouvement dissident est aussitôt étouffé dans le royaume (y compris des séminaires universitaires sur la démocratie qui font l’objet de vraies descentes) plusieurs Chemises Rouges, des anciens responsables du Puea Thaï et des universitaires, ont fondé à l’étranger le groupe en exil des "Thaïlandais Libres" (Free Thai).
    Certains analystes prédisent une résurrection au final du mouvement des Chemises Rouges, dans un pays où les partis menés par ou associés aux Shinawatra ont remporté tous les suffrages nationaux depuis 2001.
    Une "opposition plus large va apparaître, combinant les Chemises Rouges, les groupes d’étudiants, d’universitaires indépendants et autres activistes pro-démocratie", estime l’analyste David Streckfuss.

    Rechaper la politique thaïlandaise

    La junte a d’autres idées. Aux yeux de ses ennemis, Thaksin, renversé en 2006 par un coup d’Etat, a perverti la société thaïlandaise en introduisant un niveau massif de corruption et des politiques populistes.
    Un conseil de réforme nommé par la junte et empli de membres anti-Thaksin doit se mettre au travail cette semaine pour rechaper la politique thaïlandaise.
    "Le coup d’Etat de 2006 était une tentative par les militaires les plus proches du palais de remplacer Thaksin rapidement, revenir à la démocratie et poursuivre comme auparavant," rappelle Paul Chambers, directeur de recherches à l’Institut du Sud-est asiatiques de Chiang Mai.
    "Le coup de 2014 est différent car les militaires sont totalement en charge de tout… (et) sont vraisemblablement là pour rester longtemps.", explique l’analyste.
    L’intervention des militaires dans la politique thaïlandaise est motivée par l’inquiétude grandissante vis-à-vis de l’après Bhumibol Adulyadej, le roi vénéré des Thaïlandais, dont la très grande majorité des sujets aujourd’hui n’a jamais connu la Thaïlande sous un autre règne que le sien, débuté il y a près de 70 ans.
    Le monarque est toujours hospitalisé après avoir subi le 4 octobre une opération de la vésicule biliaire . Les débats autour des questions de succession sont interdits selon la loi contre le crime de lèse-majesté.
    Prayuth est actuellement en campagne intensive de relations publiques pour valoriser le travail de la junte et préparer le pays aux réformes majeures à venir.
    Chaque vendredi, il s’adresse aux Thaïlandais dans une émission qui débute sur la chanson qu’il aurait écrite lui-même peu après le putsch et qui s’intitule "rendre le bonheur à la Thaïlande".
    Par contraste, même après ses émissions sur Peace TV, Jatuporn reste très évasif sur l’avenir des Chemises rouges.
    "Nous avons accepté ces restrictions," dit-il. "C’était la seule manière de communiquer avec nos supporters."

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