• Cabu

    CABU

    "Le dessin politique est vraiment une tradition française"

    La fusillade ce mercredi à Charlie Hebdo a fait 12 morts, dont deux policiers, 4 blessés graves et au moins 20 blessés supplémentaires. Parmi la liste des victimes de cet odieux attentat terroriste, Charb, directeur de la publication, ainsi que les dessinateurs Wolinski et Cabu.
    Il arrive presque timidement face à nous dans un petit salon de la Fnac des Ternes où il est venu dédicacer L’Intégrale Beauf aux éditions Michel Lafon. Pourtant, Cabu, de son vrai nom Jean Cabut, 76 ans, est une sommité de la bande-dessinée et de la caricature qui ne devrait pas se cacher. Ses personnages du Grand Duduche et du Beauf sont mythiques, ses collaborations avec « Charlie Hebdo » et « Le Canard Enchaîné » historiques, ses années Dorothée inoubliables. Il est également le père du chanteur Mano Solo. Rencontre avec un artiste toujours vert.
    Lepetitjournal.com - Voilà un peu plus de 40 ans que vous avez créé ce personnage du Beauf et il est toujours là. C’est assez dingue quand même, non ?!
    Cabu - (Rires) Lorsqu’on le fait à la petite semaine, on ne se rend pas compte de ce que ça représente. Mais c’est vrai que 40 ans ça fait beaucoup ! Même si ce n’est pas un grand exploit. Il suffit de faire ça régulièrement et de trouver un journal qui accepte de publier ça.

    Vous souvenez-vous de la première idée qui vous a guidé vers ce personnage ?
    Comme tous les humoristes, nous cherchons des têtes qui représentent la bêtise, des faire-valoir. Mon personnage est ici négatif. J’ai fait autrefois un personnage plus positif, un lycéen qui est du bon côté. Il réfléchit avant de parler, ça s’appelait le Grand Duduche. Le Beauf c’est le Français moyen, râleur qui a tous le défauts, qui n’a pas vraiment une réflexion personnelle, qui répète ce qu’il entend à la télé ou au bistrot. Et toujours en colère contre quelque chose. Il a besoin de boucs émissaires, il se sert des étrangers. Là, physiquement, c’était un patron de bistrot que j’ai connu dans ma ville natale de Châlons-sur-Marne. Un type à moustaches. Le café existe toujours, le patron est désormais le fils. Nous étions allés faire un reportage pour FR3 Nancy il y a quelques années et le journaliste lui avait dit : "Vous savez que votre père a servi de modèle au dessinateur Cabu pour le personnage Le beauf ?" Il a répondu "Pour faire le quoi ?!" En fait il ne savait pas ce qu’était un beauf ! (rires). En général, les beaufs ne savent qu’ils sont des beaufs. Donc on prêche que des convaincus, enfin, on fait rigoler que des convaincus ! Mais tout ça ne sert pas à grand chose, à part faire rire.

    Lorsque vous le présentez en 1973, vous sentez qu’il va devenir une icône de la BD ?
    Pas particulièrement. C’est un prototype humain qui représente assez bien le Français moyen, qui est un peu raciste, cocardier, supporter de foot de l’équipe de Franc et pas du camp adverse. Il est nationaliste et évidemment maintenant il va voter Front National même si je ne le dis pas littéralement.

    Justement, comment a-t-il évolué ce Beauf ?
    Il y a 40 ans, il n’osait pas dire qu’il était raciste, et qu’il n’aimait pas les étrangers. Mais aujourd’hui il le dit car de plus en plus de monde le dit. Il écoute Éric Zemmour le matin ! Il prend des libertés qu’il n’avait pas il y a 40 ans. Il devient donc nocif pour la société, mais il représente, malheureusement, une partie de cette société.

    "Le Beauf est un personnage international, pas seulement français" Le beauf est-il forcément un Français ?
    Non, il peut être Allemand, Espagnol, Italien comme Chinois. Une fois, j’étais en Chine avec un journaliste qui parlait chinois, on était à côté d’une table avec des représentants qui disaient qu’ils n’aimaient pas les Japonais. C’est une rivalité historique. Ils leur tapaient sur le dos. Finalement, ce personnage est international. J’ai fait un bouquin sur le Japon, la Chine, l’Inde, New York, des livres de croquis façon reportage, avec une recherche perpétuelle de l’humour. À chaque fois je me suis dit que le beauf était là-bas aussi. J’en ai vu quelques spécimens !

    Peut-on dire que ce personnage est aussi né durant votre expérience à la Guerre d’Algérie à la fin des années 50 ?
    Évidemment, il y a des beaufs sous l’uniforme. Par exemple, un personnage que j’ai connu (j’ai toujours essayé de m’appuyer sur des réalités, en les extrapolant), un adjudant que l’on surnommait Kronenbourg car il était bourré à 10h du matin. Et c’est vrai que notre vie dépendait un peu de lui quand même. Donc c’était un beauf à l’armée, et il m’a inspiré.

    Quels souvenirs gardez-vous de l’armée en Algérie ?
    Je suis resté 27 mois là-bas, dans la banlieue de Constantine. J’en ai bavé mais je n’ai tué personne, heureusement. J’ai fait mon éducation civique là-bas. Je suis parti, je ne connaissais rien à rien, je suis revenu j’ai compris que malheureusement j’avais participé à la dernière guerre coloniale. À l’époque, je ne savais pas que l’on pouvait échapper au service militaire. Ils prenaient même les culs de jatte. Si j’avais su que ça existait avant, j’aurais essayé de faire objecteur de conscience. C’était dur car il fallait s’exiler. Un copain l’a fait pendant sept ans en Italie, ce fut un gros sacrifice. Ce qui est "drôle" est que les réfractaires à l’armée ont été amnistiés après les généraux qui ont essayé de prendre le pouvoir, Salan, Jouhaud, et compagnie…

    C’est en Algérie que vous avez collaboré pour la première fois à un journal ?
    Avant l’Algérie, j’avais débuté à 15 ans dans un journal régional, « L’Union de Reims ». Rétrospectivement, mes dessins n’étaient pas terribles ! J’ai appris la caricature, j’allais aux réunions du conseil municipal de Châlons-sur-Marne. J’allais voir les troupes de théâtre. Trois de mes dessins étaient publiées chaque semaine. Aujourd’hui, il m’arrive d’aller à l’Assemblée Nationale et de repenser à cette époque. J’y allais pour faire des gueules du maire et des conseillers, aujourd’hui, ce sont des députés.

    "Aujourd’hui il n’y a plus de dessins à la télé, c’est dommage..." Pourquoi pensez-vous qu’autant de supports aient publié vos dessins, caricatures, croquis… ? On en compte plus d’une vingtaine, de tous genres et tous bords politiques.
    Je suis allé un peu partout, effectivement, sauf dans « Minute » ! (rires). Mais je ne sais pas pourquoi finalement. Avec le dessin, on peut faire beaucoup de choses. Beaucoup de gens me connaissent pour ma période de dessins pendant 10 ans dans l’émission de Dorothée, « Récré A2 » (à partir de 1982, ndlr). J’aime bien faire plein de dessins divers. Et ceux pour les enfants, je les adorais. Jusqu’à 12-13 ans, ils dessinent tous et ils arrêtent après, malheureusement. À l’époque nous recevions des sacs postaux entiers de dessins, sans que je les sollicite. C’était du vrai direct. J’ai reçu plusieurs lettres de dessinateurs de BD qui me disent avoir eu envie de dessiner car ils me voyaient le mercredi. Dans notre émission, nous suivions la progression du dessin. Aujourd’hui il n’y a plus de dessins à la télé, c’est dommage...

    Tout votre éclectisme est là : de la pochette d’album de Maxime Le Forestier, à un album de jazz, en passant par l’émission de Dorothée et la politique…
    (rires) J’aime bien faire des tas de choses. Maxime m’avait demandé. Pour Dorothée, ce n’est pas elle directement mais William Leymergie, le producteur. Il lisait « Charlie Hebdo ». Il avait besoin d’un dessinateur pour quatre émissions, en suivant le scénario que donneraient les enfants par téléphone. C’était du vrai direct, je disposais 20 minutes pour faire quatre images. Et puis ça a bien marché, au lieu de quatre émissions, j’ai fait dix ans ! Et puis c’était Jacqueline Joubert, la mère d’Antoine de Caunes, qui dirigeait les programmes à l’époque. Tout s’est enchaîné, mais je n’ai jamais eu de plan de carrière, ce sont juste des opportunités.

    Avec « Charlie Hebdo » et « Le Canard Enchaîné », ce sont des relations durables…
    Depuis 1960, oui, quand « Charlie Hebdo » s’appelait « Hara-Kiri ». Je revenais juste d’Algérie. Encore une fois, tout est question de chance, de rencontres. J’avais envoyé des dessins à « Ici Paris » et « France Dimanche », qui n’étaient ce qu’ils sont aujourd’hui mais plutôt des pages entières de dessins. J’avais rencontré le dessinateur Fred, qui faisait « Philémon » en BD. En rentrant d’Algérie, en juin 1960, il me dit qu’il a un copain qui veut monter un journal avec lui, je l’ai suivi. C’était François Cavanna. Le 1er numéro d’ « Hara-Kiri » est sorti en octobre 1960, il y a 54 ans…

    Justement, en 54 ans de dessins, vous n’avez jamais été en panne d’inspiration ?!
    Je suis un dessinateur d’actualité, donc il se passe très souvent tous les jours quelque chose. Et en ce moment, il y a de quoi faire !

    "J’ai peur qu’il y ait de la place pour Marine Le Pen en France" Vous avez toujours été un homme de gauche. Que pensez-vous du gouvernement Hollande ?
    Il déçoit tout le monde. Et je crois que la droite va revenir, évidemment. Il y aura une alternance un peu plus rapide que prévue (rires) ! Mais il y a bien de quoi autant critiquer la gauche que le droite en ce moment, pas de souci ! En fait, j’ai surtout peur qu’il y ait de la place pour Marine Le Pen. J’entends beaucoup de beaufs, justement, dire : "ah bah on a tout essayé sauf Marine Le Pen, donc on va essayer !". Seulement, ils devraient réfléchir, car beaucoup de pays ont choisi l’extrême droite et cela a mal tourné.

    Comment les convaincre avec toutes les promesses non tenues par la gauche et la droite ?
    Je n’ai pas la solution. Mais je ne dis pas "tous pourris" non plus. Une minorité a fait des conneries comme Jérôme Cahuzac. Ils sont la honte de la profession. Mais il faut avoir confiance malgré ses promesses non tenues. Il faut peut-être s’en ternir aux lois de la république, s’en tenir aux lois qui existent, et pas toujours vouloir faire de nouvelles lois. Je pense qu’il y a beaucoup de lois qui ne sont pas appliquées, ou de lois votées mais pas encore appliquées. C’est aussi pour cela que ça ne va pas bien. On est tout le temps en devenir mais on n’arrive pas stabiliser les choses. Comme la fiscalité qui change tout le temps, les gens sont perdus. Et perdent confiance.

    Sur le site du Nouvel Observateur, on peut lire ceci à votre propos : "Oui, il est indispensable, Cabu, dans cette France de 2014 qui rêve d’enfermement, de grosses lunettes noires et de boules Quies pour ne pas voir le monde qui l’entoure, ni entendre son fracas". Que cela vous inspire-t-il ?
    C’est sympa ! Mais nous ne sommes pas indispensables. Si on ajoute un sourire de temps en temps, c’est déjà beaucoup. Nous sommes des bouffons, là pour faire rire. Mais on ne sert finalement pas à grand chose.

    Vous avez aujourd’hui 76 ans. Combien de temps allez-vous encore "servir à pas grand chose" ?!
    Je ne sais pas ! Mais je n’ai pas l’intention de m’arrêter tout de suite. Le dessin est un plaisir. Cavanna disait : "je ne regrette de ne plus dessiner car c’est plus marrant de dessiner, on voit tout de suite ce que l’on fait". Dessiner c’est enfantin. C’est un métier marrant. D’ailleurs ce n’est pas un métier, c’est une occupation, plutôt joyeuse.

    Au royaume des dessinateurs et des croqueurs, peut-on dire que la France est le pays phare ?
    Oh oui ! La France est le pays où il y a le plus de dessinateurs. Il y a une tradition en France depuis « L’Assiette au beurre » (journal hebdomadaire satirique fondé en 1901, ndlr). Après nous, il y a les Allemands, les Italiens. Mais le dessin politique est vraiment une tradition française.

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