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Endettement
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Les foyers étranglés par les dettes sont un défi pour la junte
Contracter de nouveaux prêts pour payer les plus anciens. Avec son salaire d’ouvrier, Non ne peut plus faire face. En Thaïlande, le niveau record de dette des ménages est l’un des points noirs d’une économie en difficulté et qui montre peu de signes d’amélioration malgré les promesses de la junte.
«Aujourd’hui, j’ai plus de dépenses que de revenus. Chaque mois, 30 à 40% de mon salaire part uniquement pour le remboursement des intérêts de mes dettes», déplore Non, qui préfère garder l’anonymat.
Cet ouvrier de 37 ans qui vit avec sa femme, ses parents et la famille de son frère dans une maison modeste dans une banlieue de Bangkok, loin des immeubles modernes du centre-ville, raconte une lente descente.
Avant les inondations de 2011 qui ont sévèrement touché son quartier, la famille était endettée. Mais rien d’alarmant.
Puis les flots d’eau ont eu raison de tout l’électroménager de la maison, de la télé, des meubles... Alors Non s’est endetté auprès des banques mais surtout par le biais d’emprunts informels, le marché noir de la dette, qui impose des taux variant entre 10 et 20% d’intérêt.
Aujourd’hui, cet ouvrier dans une usine de pneus doit rembourser 20.000 bahts (530 euros) par mois pour l’ensemble de ses dettes quand son salaire mensuel est de 14.000 (370 euros).
Une situation prise très au sérieux par les militaires au pouvoir depuis mai dernier, qui avaient promis à leur arrivée de redresser l’économie du pays.
«S’il vous plaît, abstenez-vous de contracter des dettes. La hausse de la dette des ménages est dangereuse et risque de ralentir les progrès du pays», a récemment demandé à ses concitoyens le chef de la junte au pouvoir, le général Prayut Chan-O-Cha, lors d’une allocution télévisée hebdomadaire.
L’une des justifications du coup d’Etat militaire du 22 mai 2014 était en effet de mettre un terme à l’instabilité politique, afin de remettre l’économie du pays sur pied. Les milieux d’affaires avait applaudi, après des mois de manifestations, parfois violentes, qui avaient refroidi les investisseurs et les touristes étrangers.
Malgré les promesses, huit mois après le coup d’Etat, le royaume flirte toujours avec la déflation, les perspectives économiques restent plutôt sombres et les réformes annoncées tardent à se concrétiser.
Après une année 2014 désastreuse, comme devraient le confirmer les chiffres du produit intérieur brut (PIB) qui seront publiés lundi, 2015 devrait être meilleur d’après les analystes.
Mais la croissance devrait rester très en-deçà des pays voisins.Travailleurs à zéro baht
Et comme Non, de plus en plus de Thaïlandais appartiennent à la catégorie des «travailleurs à zéro baht, dont le salaire est entièrement consacré au remboursement de leur dette», explique Narong Petprasert, professeur à l’université Chulalongkorn de Bangkok.
«C’est une situation inédite. Ces deux dernières années, cela s’est nettement dégradé à cause de la situation économique. Dans les usines, le travail a été réduit et donc les salaires avec. Et les gens ont dû emprunter davantage pour faire face aux dépenses quotidiennes», décrit ce professeur, qui ajoute que les agriculteurs représentent l’autre catégorie de travailleurs très endettés.
«La Thaïlande a connu ces cinq dernières années l’une des plus fortes poussées du taux d’endettement des ménages dans la région. Entre 2009 et 2014, le ratio entre la dette des foyers et le PIB est ainsi passé de 60% à 85%», précise Krystal Tan, analyste pour Capital Economics.
La mise en place d’un régime incitatif pour l’achat d’une première voiture il y a quelques années, couplée à des taux d’intérêt très bas, ont été les facteurs clés de cette flambée du crédit, explique-t-elle.
La Thaïlande n’est pas la seule concernée dans la région, tempère Reza Siregar de Goldmans Sachs. «D’autres pays en Asie du Sud-Est ont également des niveaux d’endettement par foyer très élevés, comme la Malaisie par exemple. Mais le problème, c’est que la Malaisie a des perspectives de croissance plus fortes que la Thaïlande», constate-t-il.
Et ce taux d’endettement record a déjà des conséquences sociales comme le constatent les ONG sur le terrain. «L’aggravation de la situation entraîne de plus en plus de problèmes familiaux et de divorces», s’inquiète Suthila Leenkam, de l’ONG Arom Pongpangan, qui vient en aide aux ouvriers.
De son côté, Non cherche des heures de travail supplémentaires et fabrique le soir de petits gâteaux pour les vendre à l’usine.
Quand beaucoup d’autres choisissent l’option du prêt sur gage. En ces temps particulièrement difficiles pour les familles thaïlandaises, les monts de piété, souvent directement gérés par l’Etat, sont des entreprises particulièrement florissantes.
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