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Des milices antidrogue armées de bâtons et de Bibles
Dans le nord de la Birmanie, terre de production d'une héroïne qui ravage la population et nourrit le conflit entre armée et groupes rebelles, des milices chrétiennes aux méthodes musclées mènent des opérations antidrogue à travers les villages, alliant coups de bâtons et désintoxication par la Bible.
Les rives du fleuve Irrawaddy, près de la bourgade de Katcho, en Etat Kachin, sont envahies par les preuves d'une addiction collective: les seringues jonchent le sol.
Mais les habitants de cette région fortement christianisée, à rebours d'un pays ultra-majoritairement bouddhiste, vivent aujourd'hui dans la peur d'une milice armée de bâtons de bambous et de tenues militaires, assurant être là pour les libérer du fléau de la drogue.
L'organisation Pat Jasan (qui signifie "prévention et élimination" en langue kachin) a été fondée l'an dernier par la puissante Eglise baptiste kachin.
Elle a récemment organisé une opération à Katcho à la recherche de drogués et maillons de ce trafic qui vaut à la Birmanie d'être le deuxième plus gros producteur mondial d'opium, base de l'héroïne, derrière l'Afghanistan.
Lors de cette opération, une habitante a été rouée de coups, témoigne un représentant de cette petite ville, dont l'un a pu rendre visite à la jeune femme au poste de police. "Les jeunes n'ont pas d'avenir ici", se lamente ce vieil homme, dont le petit-fils de 18 ans est lui-même accro à l'héroïne.
Recevant l'AFP dans le bureau de son organisation ayant pignon sur rue à Myiktina, la capitale régionale de l'Etat Kachin, le président de Pat Jasan, Tu Raw, se dit en guerre contre ce qu'il décrit comme un complot "pour tuer la jeunesse kachin grâce à la drogue".
Il assure que ses milices "ne battent jamais personne à mort", mais justifie le recours à la violence comme un mal nécessaire. "Les gens se font des injections et meurent", martèle-t-il, assurant que les deux tiers de ses amis d'enfance sont morts de leur addiction à l'héroïne.Un non-sujet pour les législatives
Ce problème national, particulièrement dramatique dans le nord du pays, n'est cependant pas l'un des thèmes de campagne des candidats aux législatives du 8 novembre.
L'opposante Aung San Suu Kyi, qui s'est récemment rendue en Etat Kachin, a mis l'accent sur d'autres sujets, comme la question de l'autonomie administrative et politique des minorités ethniques, dont les groupes armés sont accusés d'être liés au trafic de drogue, tout comme les militaires.
L'organisation Pat Jasan bénéficie d'un certain soutien populaire en l'absence de prise en charge par les pouvoirs publics du fléau de la drogue, dans ce pays encore en pleine reconstruction seulement quatre ans après la fin du régime militaire.
Quand nous arrêtons des drogués explique Du Lum, un membre de Pat Jasan rencontré près de la ville de Hpakant, "nous leur demandons s'ils préfèrent être conduits au poste de police ou s'ils acceptent d'être punis par notre équipe".
"Tout le monde sait quelles sont nos règles. Nous détruisons la drogue et nous punissons les hommes de cinq coups de fouet", assure-t-il, alors que les vidéos de la propagande de l'organisation diffusées sur YouTube montrent ces miliciens détruisant les têtes de pavot (destinées à fabriquer l'opium puis l'héroïne) à coups de bâton.Trois doses d'héroïne par jour
Leurs méthodes musclées ne font cependant pas l'unanimité. D'autres groupes religieux, notamment catholiques, mènent des programmes de réhabilitation basés sur l'étude de la Bible eux aussi, mais sans violence physique.
Ici, l'héroïne, même la plus pure, ne coûte rien. En prendre est un geste assez banal, qui sert parfois d'antidouleur. En Etat Kachin, consommer de l'héroïne est par exemple tout à fait commun à une fête de mariage.
Les travailleurs physiques comme les mineurs de jade, autre activité lucrative de cette région riche en ressources naturelles, sont nombreux à se droguer.
"J'en prends avant d'aller au travail" à la mine, dans la région de Hpakant, explique Naw San, mineur de la région de Hpakant, qui s'injecte trois doses d'héroïne par jour.
Certaines ONG comme Asian Harm Reduction Network qui soutiennent des programmes de substitution à base de méthadone sont démunies face aux partisans de la méthode forte. Elles sont par ailleurs vues d'un mauvais par les habitants de ces régions au mode de vie très traditionnel.
Pourtant il y a bien urgence à traiter le problème de l'héroïne: un cinquième des 80.000 drogués par injection en Birmanie sont infectés par le VIH, un chiffre qui monte à 40% dans la région de Hpakant, selon les chiffres officiels.
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