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Système de santé
Système de santé
En attendant un système de santé, la politique du système D prévaut
Sirène et gyrophares tous azimuts, une ambulance de fortune conduite par un chauffeur de bus retraité cherche à se frayer un passage au milieu de la circulation chaotique de Rangoon pour se porter au secours de blessés. En Birmanie, où les services de santé ont été mis à mal par des décennies de sous-financement chronique sous la junte militaire, les gens continuent à recourir au système D pour se soigner.
Les urgences ont été parmi les principales victimes des budgets étriqués consacrés à la santé. Et aujourd'hui, ce sont des volontaires comme Myint Hein, chauffeur de bus à la retraite, qui tentent de combler les lacunes dans un pays qui manque toujours cruellement d’un système d’ambulance centralisé.
"J'ai vu des gens mourir avant d'avoir pu atteindre l'hôpital parce qu'il n'y avait pas de transport disponible ou d'ambulance", explique l’homme de 54 ans.
Cette nouvelle recrue de l'association caritative Noble Heart, qui offre depuis janvier un service d'ambulance gratuit à Rangoon, vient renforcer la flotte éclectique de véhicules de secours qui dessert la capitale économique birmane, dont les habitants se tournent généralement vers la famille ou les amis en cas d’urgences médicales.
Cette culture de la débrouillardise, qui a récemment refait surface avec de graves inondations en août, est en partie un héritage du temps de la dictature lorsque les dépenses militaires dispendieuses prenaient une large part à la santé et l’éducation.
Même si les budgets ont augmenté depuis l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement semi-civil en 2011, la Birmanie reste l'un des pays qui dépensent le moins pour la santé publique dans le monde.
Selon les chiffres de la Banque mondiale, les dépenses pour la santé en Birmanie sont passé entre 2009 et 2013 de 0,2% du PIB à 1% seulement.
Par contraste, 4,3% du PIB sont allés à la défense, d'après les chiffres de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) pour 2014.
Les groupes comme Noble Heart sont débordés, mais comme la plupart des ambulances en Birmanie, ils sont sommairement équipés et peu formés, offrant davantage un service de transport qu’un véritable dispositif de soins d’urgence.Lentes améliorations
Mais c’est un vide auquel le gouvernement semi-civil s’intéresse finalement, à l’approche d’élections cruciales dans lesquelles le parti d’opposition d’Aung San Suu Kyi est donné grand favori, si le scrutin du 8 novembre est équitable.
"Nous avons des ambulances, mais elles ne sont pas entièrement équipées. Les gens qui les utilisent ne sont pas formés, il s'agit juste de transport. Il n'y a pas de vrai système", déplore Maw Maw Oo, médecin urgentiste à l'hôpital général de Rangoon.
Jusqu'en 2012, la Birmanie "n'avait pas de soins d'urgence", rappelle-t-il.
D'ici à la fin de l'année, l'Etat prévoit d'acquérir une première flotte de 230 ambulances publiques destinée à se déployer d’abord sur la route principale avant de s’étendre à Naypyidaw, Rangoon et Mandalay, ajoute le médecin.
Il y a eu de nettes améliorations à ce système habitué à voir les patients arriver dans la salle d’opération équipés de leurs propres aiguilles et médicaments en raison d’un programme de partage des coûts controversé dans le cadre duquel les malades payaient au final plus que l’Etat.
Grâce à l’augmentation des financements publics, depuis août 2014, les soins d'urgence sont gratuits pour tous, et maintenant, d’autres services comme les examens sanguins sont également accessibles sans frais.
Mais les patients supportent toujours 54% des dépenses de santé, selon le représentant local de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Jorge Luna.
Le progrès est immense, mais beaucoup reste à faire. Les infrastructures hospitalières sont notamment délabrées.
"Le financement et l'accès aux soins sont inégaux", explique Jorge Luna, dénonçant "des dépenses insuffisantes", notamment dans les régions rurales et dans celles en proie à des conflits ethniques armés.
Dans la petite clinique mise en place par l'ONG Better Burmese Health Care, dans la banlieue de Rangoon, Win Than Naing, jeune médecin volontaire, a hâte que les choses évoluent.
"Pendant des décennies nous avons été coupés du monde... l'éducation médicale et l'innovation se sont tout simplement arrêtées", se souvient le trentenaire, qui espère une nouvelle politique et des moyens pour que le pays rattrape son retard sur ses voisins.Politiques absents, le secteur privé s’en mêle
Mais alors que la campagne électorale bat son plein, les partis politiques dont le parti de Suu Kyi, la NLD, ont dévoilé peu de détails sur les éventuelles politiques de santé qu’ils seraient amenés à mettre en place en cas de victoire.
Le chirurgien Tin Myo Win, chef de la santé pour la NLD et médecin personnel de longue date d’Aung San Suu Kyi, a confié à l’AFP qu’il avait recommandé que le prochain gouvernement dépense "plus de 10 pourcent du PIB" dans la santé.
Mais les récentes professions de foi distribuées par le parti ne contiennent aucune de ces vues, pas plus qu’elles ne présentent un plan concret pour améliorer la santé du pays.
Pour l'instant, les familles les plus riches s'envolent vers la Thaïlande ou Singapour pour s'y faire soigner, surtout pour les maladies les plus difficiles à traiter comme le cancer.
Mais pour la plupart des Birmans, pauvres, ces offres sont hors de portée.
A l'aéroport de Rangoon, des panneaux publicitaires vantent les mérites des hôpitaux thaïlandais, en tête desquels figure Samitivej Hospital, très prisé par la communauté expatriée de Rangoon. Le groupe hospitalier a d’ailleurs commencé à s'établir en Birmanie en ouvrant en 2014 une clinique internationale à Rangoon au sein de l’hôpital Parami, avec lequel le groupe hospitalier bangkokois développe avec succès depuis plusieurs années un partenariat comprenant notamment un support technique et de formation.
Etabli en 2010 par des professeurs de pédiatrie de Rangoon avec le soutien de Samitivej, l’hôpital Parami a récemment mis en place des formations en urgence médicale en partenariat avec l’université américaine de Stanford.
"La première cause de décès en Birmanie sont les traumatismes crâniens liés aux accidents de la route et le non port du casque. Or, il n’y a que 6 neurochirurgiens en Birmanie", souligne Nicolas Leloup, directeur du Marketing International du groupe Samitivej qui est sur le point de former 20 urgentistes à Rangoon.
Une goutte d'eau qui reste encore pour l'heure hors de portée de la très grande majorité, mais qui contribue néanmoins à développer peu à peu dans le pays des viviers de compétences médicales et des infrastructures modernes adaptées.
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